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14 juillet 2010 3 14 /07 /juillet /2010 15:17

Les deux anciens tirailleurs ont ouvert les grilles du cimetière. Puis Sow, le premier, s'est mis à raconter dans ce français ourlé au phrasé travaillé de ceux qui ont l'habitude de prendre la parole au nom du village. Seule l'ampleur faisait défaut. Ce qui obligeait à prêter l'oreille.place-des-martyrs-de-thiaroye-2 Je lui ai prêté la mienne. Dialtale Guérisseur, l'autre vieux, accompagnait ce flot de paroles de dodelinements périodiques et approbateurs. Tous les deux étaient des anciens de la 9e Division d'infanterie coloniale. Ils avaient débarqué en Provence en 1944 et participé « sous les ordres du colonel Claudel », se souvenaient-ils, à toutes les batailles de la campagne de France. Ousmane Aliou Sow gardait particulièrement en mémoire le froid des derniers mois passés en France où il avait combattu dans les Vosges, fin 1944, puis dans la région de Dieulouard, Pompey et Custines, au nord de Nancy. A entendre son récit, on devinait que dans ses cauchemars, la neige et les camarades tués par le gel occupaient une place aussi importante que le souvenir des combats. L'armée française l'avait ramené chez lui via Saint-Louis où se trouvaient alors regroupés les services de mobilisation pour toute l'Afrique occidentale française. Là, il avait obtenu les pièces militaires qui devaient lui ouvrir droit à une pension. Une obole. Il lâchait ses souvenirs sans amertume apparente en insistant sur cette certitude qu'il avait finalement eu beaucoup de chance. La chance d'échapper « aux boches, à l'hiver qui dévorait les chairs. La chance aussi de ne pas se trouver au camp de Thiaroye quand les Français, en 1945, ont fait ouvrir le feu sur des tirailleurs qui réclamaient leur dû ».

Car là où je n'avais vu qu'un cimetière, il y avait un mémorial. Un monument horizontalà la mémoire d’hommes qui n’avaient eu d'autre audace que d’exiger trop bruyamment qu’on payât leur solde. Parce que la tragédie de Thiaroye se résumait à cela: dans ce camp de transit par lequel passaient des centaines de soldats, revenant de captivité pour la plupart et en attente de démobilisation, dans la nuit du 30 novembre au 1erdécembre 1944, alors que la colère grondait depuis des jours en réponse aux vexations et mauvais traitements, l'assaut avait été donné. Il y avait eu des dizaines de morts parmi les tirailleurs. Morts pour leur solde; pour qu’une fronde ne fasse pas tâche d’huile; pour qu’on n’aille pas s’imaginer que le Blanc était affaibli après ces années de guerre… Quelle merde. 

Quand il a eu finit son récit, j'ai regardé autour de moi: les allées étaient entretenues, les tombes, d'une grande sobriété, étaient propres elles aussi. Ils étaient tous là. Le tirailleur Sow a poursuivi: « Aujourd'hui, le temps a largement avancé la besogne commencée alors par les mitrailleuses. Au drame s'est ajouté le grand mépris de l'administration militaire qui s’est appuyée sur les méandres complexes de son administration pour inventermille prétextes au nom desquels nos pensions ne sont pas payées. Des méandres trop compliqués sans doute à expliquer aux combattants démobilisés... Des paysans, des forgerons, des bergers… Aujourd'hui, nous ne sommes plus que deux dans le village de Fondé Gandé. Mais il reste sans doute des centaines de tirailleurs dans tout le pays. Et autant à n'avoir pas compris toutes ces "explications" et qui n’ont donc jamais été payés... » 

 

Au Sénégal, le sacrifice des tirailleurs était jusqu'ici payé 60€ par mois, payables aux seuls survivants ayant su faire valoir leurs droits. Mon grand-père a touché 460€ jusqu'à sa mort pour le même engagement. Aujourd'hui qu'ils ne sont plus que quelques milliers, ont vient assurer aux anciens combattants de l'ex-empire français que, finalement, leur vie ne vallait pas moins qu'un autre. Mieux vaut tard que jamais?

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