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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 16:24

evaluations CM2Partant pour une discussion animée avec des enseignants ? Introduisez-vous dans une salle des profs et dites simplement « évaluations nationales ». Attendez quelques secondes et… laissez monter le ton. Si le sujet est aussi sensible, c’est que derrière la notion de mesure des performances, sensible par nature pour l’institution, se cache un autre enjeu : celui de la liberté pédagogique et des moyens de l’assumer.

 

Elles seront de retour à la fin du mois et la question vas être posée une nouvelle fois cette année: peut-il être question d’évaluations au sein de l’Éducation nationale sans que le torchon brûle ? Tout semble indiquer que non. Et l’histoire des épreuves imposées depuis plusieurs années aux élèves de CE1 et CM2 constitue en la matière un cas d’école. Trop précoces ou, au contraire, trop tardives pour être utiles aux élèves ; annonciatrices du primat du quantitatif sur le qualitatif, vecteur de concurrence, etc. : dès l’origine, le jugement des professeurs des écoles, en première ligne sur ce dossier, a été très sévère. D’autant plus peut-être que la balourdise avec laquelle Xavier Darcos, alors ministre de l’Éducation nationale, a imposé sa réforme en 2008 a été grande. Mal engagée, l’affaire n’est toujours pas débrouillée aujourd’hui, malgré les précautions de pansement mises en œuvre chaque année par le ministère. En septembre dernier, le SNUipp principal syndicat du primaire, a même demandé la suspension voire l’abandon pur et simple du dispositif. Une revendication formulée dans la foulée du très critique rapport du haut conseil de l’éducation (HCE) qui a qualifié les indicateurs mis en place de « partiels, peu exigeants et donc trompeurs quant à la maîtrise du socle commun, (…) peu fiables. »

Pourtant, seul l'après 6 mai semble devoir permettre une éventuelle remise à plat car, le ministère a jusqu'ici persisté envers et contre tout. Au printemps 2011, il a confirmé la mise en place d’évaluations en classe de cinquième – ni plus ni moins qu’un moyen de permettre « un premier tri sélectif à l’intérieur du collège » selon le secrétaire général du SE-Unsa, Christian Chevalier. Mieux ! Des outils de « repérage des élèves qui présentent des risques pour les apprentissages » pourraient bientôt être mis à la disposition des enseignants pour évaluer les classes maternelles. Dès le projet connu au mois d’octobre 2011, la seule évocation de ces « outils » a suffit à soulever un tollé général. Syndicats vent debout, politiques indignés, parents d’élèves FCPE dénonçant « l’ombre du rapport Bénisti » planant sur cette proposition. Une référence directe au très controversé texte sur la prévention de la délinquance qui, en 2004, préconisait de « signaler dès leur plus jeune âge » les enfants présentant des problèmes de comportement.

Derrière ces vives réactions, l’opposition à la volonté gouvernementale, jugée purement idéologique, d’imposer au système une culture de la performance est manifeste. Mais plus encore que cela, le rejet des évaluations constitue un refus de toute concession en matière de liberté pédagogique. Cette notion, « inscrite noir sur blanc dans le statut des professeurs des écoles est au principe même du métier d’enseignant », comme le réaffirme la réforme Fillon d’avril 2005. Or, pour des profs qui jugent avec raison être bien placés pour évaluer les élèves dont ils ont la charge, les épreuves nationales telles qu’elles se présentent constituent une entorse injustifiée à ce principe. D’où un dialogue de sourd qui dure depuis plus de quatre ans.  

Constante macabre

 

Là où l’affaire devient paradoxale, c’est que face à une charge qu’ils revendiquent, les enseignants se sentent souvent personnellement mal à l’aise. Dans l’esprit de beaucoup en effet, derrière l’évaluation se dissimule toujours une injustice potentielle. Leurs doutes sont d’autant plus prégnants que les enseignants disposent d’un arsenal théorique souvent trop ténu, faute de formation suffisante, pour leur permettre de les dissiper. Cette lacune est dénoncée par le didacticien toulousain André Antibi. Professeur de mathématiques à Sup’Aéro, ce dernier mène depuis plus de 15 ans une véritable guérilla contre le cadre de notation des élèves en France. Le système, selon lui, laisse l’évaluateur seul face à ses élèves pour accomplir une tâche à laquelle il est mal préparé ce qui créé un dysfonctionnement majeur : la constante macabre. Cette notion,  le Pr Antibi l’a théorisée dans un ouvrage paru chez Math’Adore au terme d’une vaste enquête menée auprès de 3 020 enseignants dans quatorze académies. Il la résume ainsi : « C’est la proportion d’élèves mis artificiellement en situation d’échec scolaire du fait d’un système de contrôle des enseignements destiné à valider les réussites plus qu’à évaluer sincèrement les connaissances. Le principe est le suivant : si tout le monde réussit, la réussite n’a pas de valeur ! Il est donc nécessaire que certains échouent. » Ainsi, les enseignants s’assureraient, involontairement, d’une répartition des notes qui valide leur sérieux plus qu’elle ne permet d’évaluer justement les élèves. Dans ce système, les moins bien notés servent de faire-valoir aux autres et sont sacrifiés.

Selon le chercheur: « La constante macabre, dont les enseignants reconnaissent eux-mêmes l’existence, est la réponse à une forme de pression sociale qui nous conduit à considérer collectivement que les classes sans mauvais élèves sont forcément le fait de professeurs laxistes.» Cette pression sociale de l’excellence est une extraordinaire source d’anxiété pour l’ensemble des acteurs de l’école. Une anxiété scolaire qui est devenu un véritable marché, poussant les parents d’élèves à chercher l’apaisement auprès des marchands de cours particuliers. Pire encore, elle incite les élèves à une approche utilitariste voire consumériste des enseignements, les résultats aux tests devenant l’unique obsession au détriment des savoirs. Enfin, elle paralyse trop d’enseignants lesquels passent, de fait, à côté des apports de contrôles totalement aboutis. Tout cela, pour avoir méconnu, comme l’explique Martine Rémond, maîtresse de conférence en psychologie cognitive à Paris 12 (Pdf), que l’art (délicat) des évaluations « est loin d’être une notion simple à laquelle pourraient s’appliquer des règles simples.»

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