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8 mars 2012 4 08 /03 /mars /2012 18:41

Consacrer une journée par an aux Femmes avec un F majuscule, c'est bien. S'interroger sur les racines d'inégalités persistantes, c'est mieux. Un constat d'abord : aucun enfant n’a jamais lu Martine fait du kick boxing ou Martine chauffeur poids-lourds puisque ces ouvrages n’ont jamais été écrits. Pourquoi ? Parce que la société pétrie de stéréotypes dans laquelle nous vivons ne le permet pas. Elle s’autorise par contre à fabriquer du sexisme à la chaîne : littérature jeunesse, manuels scolaires, catalogues de jouets, famille… Un bourrage de crâne silencieux qui débute avant la naissance. menage.jpg

 

 

Notre cerveau n’a pas de sexe. « Du moins du point de vue des fonctions cognitives – intelligence, mémoire, attention, raisonnement, etc. », affirme Catherine Vidal, neurobiologiste et directrice de recherche à l’institut Pasteur. Pour l’auteure de Hommes, femmes : avons-nous le même cerveau ? (éditions du Pommier, 2007), il demeure indéniable que notre encéphale remplit des fonctions sexuelles – il joue par exemple un rôle dans l’ovulation. Mais il est pareillement établi qu’il  « existe souvent plus de différences entre cerveaux d’individus de même sexe qu’entre individus de sexes opposés ». Ainsi, l’identité sexuelle n’aurait absolument rien d’innée. Être homme ou femme, cela s’apprend. Car, parmi les cent milliards de neurones qui constituent notre capital cérébral de départ, 10% seulement participent à des connections déjà réalisées au moment de la naissance. Des connections dédiées à des fonctions de base. « Les 90 % restantes seront fabriquées en interaction avec l’environnement, c’est-à-dire sous l’influence du milieu familial, en fonction de l’éducation reçue et d’une foule d’autres facteurs extérieurs», poursuit Catherine Vidal.

 

Voyage au cœur des années 50

 

Le développement des gender studiesaux Etats-Unis et en Europe depuis les années 80 a notamment permis de mettre en lumière la prégnance dans nos sociétés de très nombreux stéréotypes sexistes. Des stéréotypes auxquels les individus sont très tôt confrontés à travers les projections, en rose et bleu, que les parents font de leurs enfants à venir. Du papier peint Star Wars de la chambre à coucher du petit dernier aux rêves d’avenir tout doux que l’on forme pour sa sœur, tout dans leur environnement est « genré » avant même qu’ils n’y prennent place. Mais les stéréotypes ne sont pas seulement véhiculés au sein de la cellule familiale : la littérature, les médias et même les manuels scolaires participent au matraquage.

Sabrina Sinigaglia-Amadio, chercheure au laboratoire lorrain des sciences sociales, a participé de juin 2007 à mars 2008 à une vaste étude commandée par la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) portant précisément sur les stéréotypes dans les manuels scolaires. Les résultats en ont été consternants. Femmes presque absentes des milieux économiques et politiques, fortement circonscrites à la sphère domestique, réduites au rôle de mère et/ou d’épouse : sur l’ensemble des illustrations étudiées montrant des personnages en situation professionnelle, 1 046 présentaient des hommes et 341 seulement des femmes. « Un voyage au cœur des années 50 ! », se souvient la sociologue.

 

Recul

 

Sur la base de ces observations, le problème du rôle des manuels a été naturellement posé : éduquer et former les individus à une société multiple et égalitaire ou reproduire fidèlement une réalité sexiste et discriminatoire ? En 2011, la réponse à cette question ne devrait plus être un sujet de débat selon Sabrina Sinigaglia-Amadio  qui estime que « la vraie vie est depuis très longtemps en avance sur les stéréotypes. » Pourtant, le hiatus perdure et pas seulement dans le milieu scolaire.

Dans les années 70, féministes et organismes internationaux incitaient à se défaire des stéréotypes liés au sexe dans les ouvrages destinés aux plus jeunes. Pourtant, « si les stéréotypes les plus flagrants, comme la mère en tablier, le père et son fauteuil ou la petite fille à sa fenêtre semblent s’être estompés, on est loin de représentations égalitaires », a récemment rappelé Sylvie Cromer, maîtresse de conférences en sociologie à Lille 2 et chercheure associée à l’INED au cours d’un colloque à Metz.

Une inégalité d’autant plus problématique que les productions culturelles destinées à des enfants de plus en plus jeunes prolifèrent. « Que ce soit dans la littérature ou la presse magazine, dans les spectacles pour jeune public, l’abondante société fictive des personnages n’est pas plurielle. Les personnages masculins l’emportent numériquement et conquièrent espaces privé et public, laissant peu de place et des rôles moindres aux personnages féminins », poursuit Sylvie Cromer. Pis, il est des domaines où l’on a même reculé !

 

Domination masculine

 

Ainsi, Mona Zegaï, enseignante à Paris X Nanterre dont les travaux portent sur les représentations de genre dans les catalogues de jouets, souligne : « Nous assistons à une hyper-distinction « filles-garçons » qui était moins visible dans les années 90. J’ai étudié les catalogues sur 30 ans. On note que l’arrivée de la couleur a renforcé l’identification des sexes. L’image a également accentué cette distinction. On associe systématiquement le genre à une activité : les petites filles font le ménage, les petits garçons, la guerre. Les premières sont sur fond rose avec des petits cœurs, les seconds sur fond bleu avec des flammes et un graphisme évoquant la vitesse. » Dans les représentations renvoyées par ces catalogues, la posture des enfants est également révélatrice : « Les garçons sont bien campés sur des jambes écartées, les mains sur les hanches. Ils doivent être dans le défi, la dureté, la compétition, la virilité. Alors que les filles, elles, doivent symboliser la grâce, la légèreté… Elles sont sur la pointe des pieds ! »

Autant de « petites choses » qui, cumulées et orientées dans le même sens, exercent une influence déterminante sur la manière dont se construisent les identités de genre : « Les stéréotypes conditionnent les comportements et, finalement, limitent les parcours de vie en imposant une partition sexiste de la société avec des rôles pré définis pour les uns et les autres », affirme Catherine Vidal. Plus grave encore selon  Sabrina Sinigaglia-Amadio: « Les petits garçons ne sont pas naturellement plus tournés vers la compétition ou à la lutte que les filles : c’est le rôle qui leur est socialement dévolu à chacun. Ce qui n’est pas sans conséquences sur les rapports entre les sexes. » Cette influence, le réalisateur belge Patric Jean l’a parfaitement décrite dans son film documentaire La Domination masculine (2009). Une œuvre certes polémique mais qui souligne comment de  la socialisation « agonistique » imposée aux garçons aux comportements violents, notamment à l’encontre des femmes, il n’y a parfois qu’un pas.

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